Rencontre avec Martine Augsbourger, Responsable de l’Atelier Costumes

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Aujourd’hui sur le blog, nous vous proposons d’en savoir un peu plus sur une équipe indispensable au CCN – Ballet de Lorraine : celle de l’Atelier Costumes ! Pour cela, nous sommes allés, le 7 octobre 2015, poser quelques questions à Martine Augsbourger, la responsable de l’Atelier, qui travaille ici depuis 16 ans.

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Bonjour Martine, racontez-nous un peu comment fonctionne l’Atelier.

Tout d’abord, en termes d’effectif, je suis la seule en permanence, ensuite cela varie en fonction des besoins. Là, il me semble qu’en ce moment, nous sommes au maximum. Delphine s’occupe essentiellement des tournées. Il y a aussi Laëtitia, Clémence, Laure, Lorraine et Annabelle de temps en temps. Elles sont au maximum six et sont toutes sur le régime de l’intermittence du spectacle.

Comment se passe la création des costumes ?

Il y a plusieurs cas de figures en ce qui concerne la création des costumes. Si c’est une pièce qui existe déjà, notre tâche va être de reproduire les costumes. J’ai déjà fait des costumes d’après des souvenirs ou d’après les indications des chorégraphes qui veulent changer certaines choses, actualiser ou parce que la pièce évolue. Mais cela veut dire qu’il y a toujours un écart entre le costume tel qu’il a été fait et le costume tel qu’on va le faire. Cet écart peut-être lié aux matériaux, qu’on ne trouve parfois plus, mais aussi à la coupe qui peut être datée et que nous allons remettre au goût du jour. Ensuite, ces écarts doivent être validés par les chorégraphes ou les compagnies.

Pour les pièces de Twyla Tharp, je suis en contactavec une personne de la fondation. Des photos des costumes originaux m’ont été envoyées – ils ont refusé d’envoyer les costumes – pour que nous les reproduisions le plus fidèlement possible.

Pour ce qui est de la pièce de Martha Graham, je dois recopier un modèle. Il faut que ce soit sept centimètres en dessous du nombril, sept centimètres au dessus du sol. Mais nous ne recopions jamais à l’identique, c’est impossible. Il faut toutefois respecter l’état d’esprit en se basant sur un modèle.

Pour Opal Loop/Cloud Installation #72503 de Trisha Brown, les costumes d’origine nous ont été envoyés. Je suis allée à Paris pour retrouver le même tissu qui s’appelle un « changeant » et qui devait être fluide. Mais je n’ai pas pu le retrouver exactement, je leur ai donc demandé si cela pouvait convenir.

Mon travail est d’être au plus proche et plus juste de ce qui est demandé. Si des costumes ne sont pas conformes, ils nous refusent la possibilité de présenter la pièce. Alors je peux trouver les costumes effectivement très laids mais je le fais quand même.

Je peux aussi faire des propositions, comme cela a été le cas pour certaines productions. Mais c’était toujours des propositions en lien avec la thématique de la pièce. Nous avions par exemple fait des aménagements pour La Création du Monde, qui est une reconstitution d’une pièce des années 20. Les costumes étaient au départ des plastrons en bois bien droits. Dans la pièce présentée en 2012, ceux-ci étaient désormais en mousse mais elle avait travaillé et courbé. J’avais donc proposé une solution, avec une charnière aimantée, pour remédier au problème, tout en restant dans le propos du chorégraphe.

Il existe donc beaucoup de dialogue entre les chorégraphes et l’Atelier Costumes…

Oui, parfois les chorégraphes veulent des couleurs spécifiques, des coupes spécifiques… Par exemple [sur un costume en particulier montré durant l’interview], un rajout fait de côté avait une courbe très forte. J’ai demandé alors si la courbe était normale ou pas et s’il fallait que je la reproduise… Les délais de réponse sont parfois très longs.

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Comment cela se passe quand il s’agit de nouvelles créations, comme c’est le cas pour le prochain programme, avec ELEMENTEN de Cindy Van Acker et Le Surréalisme au service de la Révolution de Marcos Morau ?

Quand c’est une création, les cas de figure sont très différents à chaque fois. Une costumière ou le chorégraphe peut décider des costumes. Je peux aussi en décider si cela se présente, mais cela se fera toujours en lien avec le chorégraphe, c’est lui qui détermine un cadre.

Certains chorégraphes ont par exemple l’habitude de travailler avec une costumière. Cela peut alors se passer de différentes manières : il peut y avoir des croquis, des idées, des collages, des prototypes, tout est possible. Cela peut aussi passer par des achats que la costumière va faire. Elle peut elle-même chercher le tissu, comme cela peut être moi. C’est vraiment variable.

Certains chorégraphes ont des idées d’ambiance, de couleurs, d’autres non. Il y a aussi différentes façons de travailler : certains chorégraphes ne vont pas vouloir que les costumes se fassent au début, cela va donc se faire au fur et à mesure. Chacun a sa façon de travailler. Je vais donc faire en sorte de pouvoir commencer le plus tôt possible, pour éviter de tout faire en dernière minute, même si c’est souvent le cas…

Combien de temps nécessite la création des costumes pour un programme ?

Encore une fois, c’est quelque de chose de très variable. Je commence la création dès que l’on me donne les informations. Mais certaines choses sont très changeantes, comme la distribution… Alors, quand les délais sont trop courts, nous devons faire fabriquer à l’extérieur.

Par exemple, pour Nine Sinatra Songs (présenté au dernier programme), les robes ont été teintes et coupées ici mais ont été assemblées dans un atelier à Paris qui fait des costumes de scène. Deux robes ont été conçues ici, et douze l’ont été à Paris. Pour ces robes, c’était un travail assez important car certains détails étaient brodés, peints ou teints.

Les costumes des hommes ont été achetés. Il n’aurait pas été possible de tout fabriquer, compte tenu des contraintes de temps et budgétaires. Nous faisons aussi fabriquer à l’extérieur si ce sont des demandes très spécifiques, comme nous avons pu le faire pour Relâche. Nous avons fait appel à un fabricant qui travaille, entre autres, pour le cinéma et le spectacle, pour concevoir des chaussures faites pour danser.

Nous sommes les seules ici à fabriquer. Nous le voyons bien avec les chorégraphes, un mouvement, s’il ne va pas, se change. Alors qu’avec les costumes, ça ne se passe pas comme cela, une fois que le coup de ciseaux est donné… Si le costume ne fonctionne pas, il est retiré mais cela fait partie du processus. Ce qui est important, c’est avant tout la justesse. On ne peut pas forcément savoir ce que ça va donner avant de le voir. Il est arrivé que les dessins de chorégraphes ne fonctionnent pas dès lors que les pièces étaient cousues. Il fallait alors recommencer. Ce n’est pas du tout un manque de respect pour notre travail. Cela fait même partie de notre travail, mais c’est un luxe. Et c’est d’ailleurs une chance d’avoir un atelier costumes ici. Peu de CCN en France ont un atelier de costumes.

Quelles sont les spécificités à prendre en compte quand on conçoit des costumes pour danseurs ?IMG_7089

Il faut prendre en compte les critères de mouvement : c’est le costume qui s’adapte à la danse, non le contraire. Sauf parfois, certains chorégraphes vont travailler dans ce sens là et souhaitent que le costume devienne une contrainte. Mais dans ces cas-là, cela fait partie intégrante de la chorégraphie.

Pour que le costume s’adapte au corps et pour que les danseurs et danseuse puissent bouger dans leur pantalon, robes… nous avons des astuces. Nous ici, nous n’allons pas travailler comme à l’Opéra. Nous n’avons pas les mêmes contraintes de confort, de solidité. Nous faisons le même métier mais ce n’est pas la même façon d’adapter au corps. Même si cela n’y paraît pas, un costume est un vêtement de travail. Il faut qu’il puisse être solide et qu’ils se lavent et s’entretiennent facilement.

Il faut aussi savoir que les costumes sont fait sur mesure pour chaque danseur. Nous disposons de fiches de mesure pour chacun d’entre eux et leurs costumes sont coupés en fonction. Nous procédons aussi à des essayages.

Et en ce qui concerne les retouches ?

Les retouches concernent le pôle habillage. Une habilleuse a des compétences en matière d’entretien – tous les costumes ne s’entretiennent pas de la même façon -, en matière de réparation et en remise à taille. La remise à taille se produit par exemple quand un danseur se blesse, que la distribution change et que les deux danseurs ne font pas la même taille. Une habilleuse suit quasiment toujours les danseurs sur les tournées.

Quelles sont les techniques que vous employez ?

Nous faisons de la teinture, de la peinture mais c’est essentiellement de la couture. Nous sommes aussi amenées à faire du bricolage quand il faut trouver des astuces.

Par exemple, pour les robes de Nine Sinatra Songs, il nous a fallu trouver une technique spécifique pour les teindre. Cela a pris beaucoup de temps pour trouver la bonne solution.

Être costumière, c’est un métier où nous sommes obligées de sortir des sentiers battus. Cela n’y paraît pas mais c’est complexe techniquement. Nous ne pouvons pas seulement employer les techniques apprises à l’école. Il faut avoir une capacité d’invention technique et esthétique. C’est un métier souvent dévalorisé parce que féminin. Les gens se disent que ça ne prend que cinq minutes, que c’est du « chiffon ».

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C’est intéressant de voir tout ce qui a derrière un costume…

Ce sont aussi des rencontres qui sont intéressantes. Nous rencontrons des personnes qui, à chaque fois, sont dans des univers particuliers. Je vois ensuite comment on peut traduire cela. Par exemple, quand un dessin de costume est fait, il y a un monde entre les deux. Je dois dire qu’il y a quand même une partie d’interprétation dans le regard qu’on va poser sur dessin. Mais elle doit être en accord avec le chorégraphe. Et tout n’est pas échangeable par mots, il faut une certaine sensibilité qu’on va mettre en œuvre pour traduire quelque chose, et qui est en dehors du j’aime ou du j’aime pas. Il s’agit à la fois de sensibilité, de connaissances. C’est comme un traducteur qui ne va pas écrire son livre, il va traduire un livre que quelqu’un d’autre a écrit. Il y a forcément une petite patte.

Avez-vous déjà commencé à travailler sur le Programme 2 ?

Non, c’est impossible parce que ce sont des créations. Je ne sais pas à partir de quand on pourra commencer à travailler dessus. Cela ne dépend pas de moi. On a déjà abordé des choses avec l’un des deux chorégraphes, je sais qu’il souhaite qu’il y ait des aménagements qui soient fait pour protéger les corps.

Faire ce métier, c’est un investissement humain. Nous nous sommes déjà retrouvées à travailler jusqu’à 3h du matin pour que ce soit prêt pour un programme. Il faut toutefois pouvoir éviter cela au maximum. Je pense qu’il faut savoir s’adapter et avoir une grande ouverture. Chaque travail permet d’élargir notre palette. Mais ce n’est pas parce que la palette s’élargit que nous aurons déjà rencontré tel ou tel cas de figures. C’est ce qui est intéressant. D’ailleurs, c’est comme les personnes qui dessinent et qui ne savent pas coudre, elles ne vont absolument pas se préoccuper de savoir si c’est faisable ou non. Ce sera alors à nous de pousser toujours plus loin nos recherches et trouver des solutions qui, à la base, n’étaient pas faisables. Nous apprenons toujours techniquement beaucoup plus si c’est quelque chose qu’on ne connaît pas et qui est soit disant infaisable.