Rencontre avec Elsa Raymond

Posted in Blog

230

Cette semaine, après avoir fait la connaissance de Joséphine il y a quinze jours, nous vous proposons de rencontrer Elsa Raymond, danseuse au sein de la compagnie. Elsa est arrivée fin août au CCN – Ballet de Lorraine. Au cours de l’entrevue, elle évoque notamment son interprétation  dans deux des trois pièces du premier programme de la saison, un duo dans Nine Sinatra Songs et The Fugue, de Twyla Tharp.

Bonjour Elsa, peux-tu te présenter ? 

Je m’appelle Elsa Raymond, j’ai 26 ans. Je suis née à Lyon et je viens du Ballet de l’Opéra national de Lyon. J’ai commencé au CCN – Ballet de Lorraine fin août, pour le début de la saison.

Quels ont été tes premiers pas dans la danse ?

J’ai commencé vers trois ou quatre ans dans une petite école privée à Villeurbanne, près de Lyon. C’est très jeune pour commencer mais je voulais danser. Mes parents ne comprennent pas vraiment comment cela m’est venu. Il y a, dans ma famille, beaucoup de sportifs : mon père, c’est le rugby, ma maman, c’est plus l’athlétisme et le basket comme sport de prédilection et mon grand frère faisait du ski en compétition quand j’étais petite.

J’aurais peut-être pu être attirée par des sports collectifs mais finalement j’ai choisi la danse, le mouvement… J’étais très active et j’adorais la musique. J’ai donc demandé à mes parents de faire de la danse. Ils m’ont écoutée, tout simplement. Et j’ai donc commencé comme cela, dans cette petite école près de Lyon. Elle ne faisait pas de cours préprofessionnels, mais uniquement une initiation à la danse et puis ma professeure est partie à Tahiti (elle enseigne d’ailleurs maintenant au conservatoire de Tahiti) et l’école a fermé. Alors ma maman, qui ne connaissait pas du tout le monde de la danse, a cherché une nouvelle école. C’est comme cela que j’ai intégré un établissement préprofessionnel à Villeurbanne. A l’époque, Pascal Courdioux et René Bon y enseignaient. Je ne le savais pas du tout, mais je me suis finalement retrouvée dans une des meilleures écoles du pays. Ensuite, j’ai suivi des cours tous les jours en sport études et je suis toujours restée dans cette école. Je n’ai jamais fait de conservatoire ou de CNSMD.

Par la suite, mon parcours a un peu changé. J’ai arrêté la danse pendant une période assez longue, environ un an. Puis, j’ai repris dans le sud. J’ai ensuite commencé mon activité professionnelle, en Scandinavie : au Danemark à Copenhague pendant un an, puis en Finlande à la compagnie nationale (au Finnish National Ballet) à Helsinki pendant un an. C’était des expériences plutôt très classiques. C’est surtout au Finnish National Ballet que j’ai découvert ce que pouvait être du néo-classique, voire de la danse contemporaine. J’ai eu la chance de travailler une pièce de William Forsythe. J’ai aussi rencontré Ohad Naharin, un chorégraphe israélien. J’ai vraiment eu envie d’aller dans cette direction, d’explorer un autre style. J’ai été indépendante pendant deux ans et demi, trois ans, en tant que freelance. J’ai ensuite fait une formation pour mon Diplôme d’Etat de professeur de danse classique et parallèlement, j’ai été engagée au Ballet de l’Opéra national de Lyon. Tout s’est passé un peu en même temps et je suis donc restée trois ans à l’Opéra national de Lyon. Ensuite, je suis venue ici, à Nancy, après avoir auditionné en février dernier.

Pourquoi avoir choisi le Ballet de Lorraine ?

C’est une structure et un effectif que je connais, avec 26 danseurs. A Lyon, par exemple, nous étions trente. J’aime bien cet effectif parce qu’il te permet à la fois de faire des pièces « d’envergure » et en même temps, d’impliquer tout le monde dans la compagnie. A l’inverse, dans les très grosses compagnies, comme au Finnish National Ballet, nous étions quatre-vingt-dix. Dans ces cas-là, il existe des hiérarchies et il y avait certaines personnes de la compagnie que je ne connaissais pas, parce qu’ils n’étaient jamais là et ils n’étaient pas impliqués.

Mais la première raison de ce choix, c’est le répertoire. Le CCN – Ballet de Lorraine propose beaucoup de créations mais aussi des reprises. C’est ce que l’on appelle une compagnie de répertoire, c’est une compagnie qui va te proposer un éventail large de pièces à faire, qui vont être parfois diamétralement opposées et cela m’intéresse. Nous pouvons passer de Nine Sinatra Songs, qui est très ballroom, à quelque chose qui n’a rien à voir et qui pourrait être Devoted ou The Fugue, qui est de la même chorégraphe mais complétement différente. C’est vraiment cela qui m’a le plus plu. Je pense que le CCN – Ballet de Lorraine est une compagnie qui est en train de prendre de l’essor dans la danse contemporaine. C’est vraiment attractif pour les danseurs. Je voulais pouvoir faire des choses variées.

A quoi ressemble une semaine type pour toi au sein du CCN – Ballet de Lorraine ?

En tout temps, notre point de rencontre avec nos collègues et nos gammes, c’est la classe qui se déroule le matin, le training collectif. Elle commence à 10h, nous nous échauffons pour la journée et nous préparons notre corps. Nous nous retrouvons, c’est un moment convivial que j’aime beaucoup. Nous démarrons une nouvelle journée. Nous appréhendons chaque jour notre corps différemment, en fonction de ce dont on a besoin, des douleurs que l’on a, de ce que l’on va faire ensuite dans la journée. Puis, nous regardons le planning de la journée, nous y voyons les répétitions qui seront planifiées. En fonction de cela, nous pouvons travailler pendant tous les services, de 10h du matin à 12h45/13h. Nous avons ensuite trois quarts d’heure de pause déjeuner et nous reprenons l’après-midi, jusqu’à 17h45. Dans les deux gros blocs, il y a quinze minutes de pause. Voilà ce qu’est une journée type. La semaine type est une semaine où nous allons évoluer dans les répétitions, nous allons avancer. En ce moment, nous avons des longues semaines de six jours. Pour l’endurance, c’est assez important. Mais nous nous adaptons. En ce moment, nous sommes tous un peu excités par rapport au premier programme qui se prépare et ça motive !

Comment tu perçois ce programme ?

Je suis super contente. J’ai la chance de pouvoir danser dans deux pièces sur trois. Je vais danser dans The Fugue, de Twyla Tharp. C’est une pièce pour trois danseurs ou trois danseuses. Il n’y a pas de musique du tout. Ce sont les pas sur le sol, sonorisé par des micros, qui font la musique. Tous les mouvements et les sons sont amplifiés. Il y a beaucoup de pas tapés sur le sol. Cela crée l’ambiance et la musique. Il y a une interaction évidente entre les trois interprètes. Cette pièce part d’une phrase de vingt mesures qui se décompose,  qui se tort dans tous les sens, dans tous les côtés et à cela, on ajoute un peu d’improvisation. C’est assez riche et intense physiquement. J’aime beaucoup cette pièce. L’autre pièce dans laquelle je suis impliquée, c’est Nine Sinatra Songs, également de Twyla Tharp. Je danse avec Fabio Dolce. Je suis très contente, Fabio est génial. Pour moi, c’était un peu surprenant et il a fallu apprendre très vite quelque chose de nouveau. Mais cela fait partie du métier, on s’adapte encore une fois et c’est très agréable.

Quels sont selon toi les aspects les plus difficiles du métier de danseur ?

Parfois, c’est difficile de se confronter à certaines attentes. Il y a des chorégraphes avec lesquels tu as des atomes crochus, tu vas tout de suite comprendre. Cela va être très simple, tu n’auras pas besoin de parler et cela va venir presque naturellement. Et parfois, tu ne vas pas tout de suite comprendre, tu vas buter et tu ne vas pas trouver tes marques tout de suite pour entrer dans certains personnages. Il va te falloir un peu plus de temps. C’est  vrai qu’aujourd’hui, ce qu’on attend d’un danseur, c’est de s’adapter en une seconde. Parfois, c’est un peu difficile d’aller aussi vite. Ce qui peut aussi être considéré comme une difficulté, c’est de travailler sur la douleur, sur des blessures et ce même quand tu es extenué, c’est physique. Je trouve que c’est un aspect difficile que j’aime. Je cherche justement à dépasser des limites et à aller toujours au delà. Pour certains, cela peut être considéré comme une difficulté. Mais pour moi, c’est gérer les différentes approches, le dépassement de soi et le plaisir dans chaque chose. Mais c’est aussi ce qui est le plus intéressant.

Au contraire, quels sont les aspects les plus bénéfiques ?

C’est justement l’accomplissement de tout cela. L’idée, c’est de voyager entre le point A et le point B. Même si tu n’arrives pas complètement au point B, parce que nous avons une idée d’un objectif qui peut être appelé de différentes manières : la perfection du mouvement, outrepasser ses limites… Cela peut effectivement être ton accomplissement final, mais ce qui est le plus intéressant, c’est le cheminement. Ce cheminement se définit à travers la recherche chorégraphique, la progression technique, l’interaction que tu vas avoir avec tes collègues et puis surtout la scène. Parce que finalement, le point de rencontre, c’est sur scène. Nous faisons tous ce métier là pour cela, c’est est génial. Nous avons vraiment beaucoup de chance de faire ce métier. C’est très dur mais en même temps, nous l’avons choisi. Chacun avec son caractère et chacun avec son histoire le gère à sa façon mais nous sommes tous ici pour les mêmes objectifs et les mêmes récompenses.

Ce sont des balances comme cela, tu vas faire un sacrifice d’un côté mais pour avoir une récompense énorme de l’autre : prendre un plaisir maximal sur scène, avoir un échange avec le public et avec tes collègues. Ce qui se passe sur scène, c’est une bulle qui nous apaprtient. C’est vraiment précieux.

Quelles sont selon toi les qualités indispensables pour faire ce métier ?

Je pense qu’il faut rester humble. Si tu penses que tu as la vérité, que tu sais, tu ne vas pas y arriver. Je pense qu’il faut vraiment se laisser toujours surprendre, se permettre aussi découvrir de nouvelles choses. La qualité principale doit être l’humilité ainsi que la générosité, parce qu’il faut beaucoup donner de soi. Il peut aussi y avoir la patience. Pour devenir danseur, il faut compter au minimum dix années d’études pendant lesquelles tu ne vas peut-être pas avoir la même enfance ni même la même adolescence que ton voisin. Chacun a une histoire unique et c’est vrai qu’il faut y penser. Certains ici ont fait des écoles très prestigieuses. Ils sont partis de chez eux à 7 ou 8 ans, je n’ai pas vécu cela, mais il faut avoir une maturité et savoir ce que tu veux faire très vite, parce que tu n’as pas de temps à perdre. Maintenant, on recrute les gens dans la vingtaine. Il faut pouvoir être prêt. A 18 ou 20 ans, notre génération est un peu dans l’incertitude, elle se laisse le temps. De notre côté, il faut tout de suite que nous sachions ce que nous voulons, parce que l’apprentissage se fait en amont.

Quels sont tes chorégraphes qui te touchent?

Beaucoup me touchent : Pina Bausch me touche énormément ; Mats Ek, que j’ai eu la chance de le rencontrer à Lyon et avec qui j’ai travaillé sur Giselle, c’était une expérience hallucinante ; Ohad Naharin, que j’avais rencontré au Finnish National Ballet. Ce sont des gens très simples et en même temps, qui créent des œuvres extraordinaires. C’est très impressionnant.

Dans la jeune génération, Chrystal Pite est une femme extraordinaire aussi. Elle est canadienne et a beaucoup travaillé avec William Forsythe. Elle développe maintenant ses chorégraphies. Je pense que c’est important de parler des femmes. Malheureusement, le décès de Pina Bausch est une grande perte pour la danse. C’est intéressant de mentionner ces femmes qui sont là, parfois dans un milieu de chorégraphes masculin. J’aime aussi Lloyd Newson, il travaille pour le DV8 Physical Theater en Angleterre et met en place quelque chose que j’apprécie beaucoup quand je regarde une pièce. C’est la dimension théâtrale d’une pièce, il fait appel aux ressources de jeu chez le danseur. C’est intéressant parce qu’il a un regard très engagé politiquement sur la société et cela ajoute une dimension qui te touche vraiment.

Interview réalisée le 29 octobre 2015